JOURNEE DE FORMATION DES M.E.R.M.
CHU - CAEN LE 18 NOVEMBRE 2000.
Traumatismes non accidentels ou Syndrome de SILVERMAN et bébés secoués de CAFFEY.
Introduction :
Le syndrome de l'enfant battu a été décrit à la fin du siècle dernier par Ambroise TARDIEU, qui en 1860 fait la 1ère description et publie un mémoire sur des lésions observées lors d'autopsie ; il porte aussi le nom de syndrome de Silverman (Radio pédiatre qui a décrit les aspects radiologiques des lésions osseuses dues à des sévices). En 1946, Caffey (radio pédiatre) fait l'association des fractures multiples des os longs et des hématomes sous-duraux du nourrisson, thèse reprise en 1965 par les médecins français suite à une publication de Kleiman.
Plus communément, on utilise le terme de syndrome des enfants maltraités (abused children) ou syndrome des traumatismes non accidentels (NAI : non accidental injury ). Observé dès le premier jour de la vie il reste prédominant vers l'âge de 1 an.
La maltraitance à enfants est devenue en France comme dans de nombreux pays un problème de santé publique. Ce phénomène n'est pas nouveau, mais aujourd'hui, il est mis à la disposition de l'enfant, des familles, des soignants, des moyens et des structures publiques ou privées qui permettent la prévention , la dénonciation de tels actes et la prise en charge des enfants maltraités. La Convention internationale des droits de l'enfant a été ratifiée par la France en Janvier 1990 et depuis la loi du 10 Juillet 1989 c'est le Président du Conseil Général qui est chargé de la mise en oeuvre de la protection sociale à l'enfance.
Définitions :
Enfant maltraité : celui qui est victime de violences physiques, d'abus sexuels, de cruauté mentale, de négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique. Aujourd'hui, nous nous intéressons uniquement aux violences physiques ou traumatismes non accidentels infligés.
Quelques chiffres sur la maltraitance :
Les signalements selon les rapports de L'ODAS (Observatoire décentralisé de l'Action Sociale) créé en 1990, concernant les enfants de 0 à 18 ans.
A noter : dans le cadre de la mort subite du nourrisson (SID) on estime que 10% sont en fait des enfants battus non diagnostiqués.
Circonstances du diagnostic initial :
Nous ne verrons ici que le domaine de la radiologie avec toute l'équipe qui compose un service : le radiologue, le manipulateur ou la manipulatrice, la secrétaire, éventuellement le ou la stagiaire M.E.R.M.
Elle sont variables.
Il peut s'agir du hasard : le radiologue découvre fortuitement des lésions traumatiques. Par exemple, repérage de fractures de côtes inexpliquées sur un cliché pulmonaire à la recherche d'un foyer infectieux.
Il peut s'agir d'un bilan orienté à la recherche de signes de maltraitance. Par exemple, des signes cutanés (brûlures, morsures, hématomes, ecchymoses, alopécies) qui imposent chez l'enfant hospitalisé la pratique d'une enquête radiologique. Cette dernière peut être diligentée dans le cadre des expertises judiciaires.
Enfin, l'examen radiologique est parfois réalisé en urgence lorsque des organes vitaux sont atteints. Quelque soit le mode de découverte de ces lésions, il convient de rappeler l'importance du travail en équipe entre les différents services médicaux, aides sociales à l'enfance, policiers et judiciaires : cela soulage au maximum le difficile parcours de ces enfants.
Les techniques radiologiques disponibles :
Le radiologue dispose de toutes les techniques : radiologie conventionnelle, l'échographie, le scanner et la résonance magnétique pour atteindre ses objectifs, localiser les lésions et les analyser pour prouver leur origine traumatique et non accidentelle. Il faut également s'efforcer de dater les fractures en fonction de la réaction périostée ; elle apparaît entre huit et quinze jours puis le cal de développe sur un délai de plusieurs semaines. Il persistera plus ou moins longtemps suivant l'os atteint. Un remodelage naturel efface dans le temps ce cal . On rencontrera le double problème de la sensibilité et de la spécificité. L'amélioration de la sensibilité repose sur la qualité des clichés réalisés selon un protocole précis.
Protocole des radiographies :
Les radiologues ont établi un protocole radiologique qui présente plusieurs avantages
reproductibilité dans le temps pour un suivi médical avec comparaisons.
visualisation du squelette dans sa totalité étant donné que l'enfant entre 0 et 3 ans ne peut pas localiser précisément ses douleurs.
éviter de faire des clichés inutiles.
limiter l'irradiation car on limite le nombre de clichés.
Les clichés :
Crâne : face haute, Worms, Profil (potter) avec cônes et filtre ± diaphragmé.
Os propres du nez (direct) sur cassette extremity.
Rachis cervico-dorso-lombaire de profil (potter)sur un seul cliché diaphragmé et centré sur D 10 (maintenir les jambes en flexion).
Thorax osseux (potter) bras levés.
Membres supérieurs de face en supination scotchés (direct pour les petits) - diaphragmer parties molles visibles - centrer au niveau du pli du coude.
Membres inférieurs de face rotule au zénith scotchés (direct pour les petits) pieds bloqués par des sacs de sable - parties molles visibles - centrer un peu en dessous de la rotule.
Abdomen sans préparation et bassin (potter) sac de farine sous le thorax pour lutter contre l'hyper lordose.
Mains de face en pronation (direct) parties molles visibles, les 2 mains immobilisées avec un plexi ou les avant-bras maintenus, centrer sur les pouces qui se touchent 1 seul cliché.
Pieds de face (direct) parties molles visibles même technique que les mains.
Avant 3 ans il est préférable que l'examen complet soit systématique ; au delà on peut faire les radiographies en fonction de la clinique et des douleurs signalées par l'enfant.
Le rôle du Manipulateur est ici primordial.
Le matériel :
Le MERM doit préparer à l'avance tout ce dont il aura besoin pour effectuer le bilan osseux : choisir une table avec potter et suspension pour le direct, un craniostat, des plaques de mousse, des cales de sable et de farine, des sangles velcro et bandes Velpeau, des cônes localisateurs adaptés, des gants pour la personne qui maintiendra l'enfant pour certains clichés, des tabliers et protège gonades, des lettres de marquage pour les côtés et les cassettes (écrans fins voir écrans extremity avec films mammoray) adaptées à la taille de l'enfant. Le marquage du nom de l'enfant (Nom, Prénom, date de naissance) doit être prêt également. Prévoir des alèses ou des couches, éventuellement un petit jouet. Tout doit être à portée de mains pour être rapide.
La prise en charge de l'enfant :
La secrétaire et le MERM auront bien vérifié l'identité de l'enfant.
- Pour un enfant qui vient en cabinet privé, le MERM doit juger s'il doit accepter la présence d'un ou des parents selon l'attitude de ceux-ci, selon le besoin d'une aide physique et psychologique ; quelquefois, la présence du père ou de la mère est aggravante sur l'état nerveux de l'enfant qui hurle et se débat. Il faudra rassurer l'enfant et s'adapter à son âge avec un langage adéquat. Le MERM doit effectuer les clichés sur un enfant déshabillé (recouvrir les parties du corps non concernées au fur et à mesure de l'avancement des clichés pour ne pas que l'enfant ait froid), qui sera immobilisé rapidement et efficacement en position de décubitus dorsal. Si les parents posent des questions sur le bien fondé de tant de radios, le MERM doit respecter le secret professionnel et conseiller aux parents de s'adresser au radiologue qui leur fournira plus de précisions. Le MERM ne doit pas laisser apparaître ses sentiments car il peut s'agir de sévices effectués par une personne étrangère à la famille (nourrice) mais aussi il peut s'agir d'un enfant non battu mais atteint d'autres pathologies (on verra plus loin).
- En service Hospitalier, quand l'enfant est hospitalisé, le MERM peut se faire aider par une personne du service où est interné l'enfant, et surtout prendre des précautions pour maintenir le confort et la sécurité de l'enfant surtout si celui-ci est très traumatisé. Le manipulateur doit veiller à la radioprotection de l'accompagnant et de l'enfant.
En aucun cas ne laisser l'enfant seul !
Faire les clichés le plus rapidement possible, donc un stagiaire ne peut que regarder et ne recevra des explications qu'une fois l'examen terminé.
Marquer les radios après avoir vérifié que le nom est le bon (aucune erreur n'est autorisée par les experts).
Le radiologue peut être amené à demander des profils et des localisés.
Tous les segments doivent être complets, les incidences strictes, une même région ne doit pas être explorée plusieurs fois. Les panoramiques sont à prohiber.
Très important : le MERM doit noter les radios effectuées sur le carnet de santé car souvent ces enfants subissent le nomadisme médical.
DIAGNOSTIC :
A partir des radios, le radiologue pourra déterminer le mécanisme des traumatismes : le coup direct, la flexion/extension brutale avec compression dans le cas des enfants secoués, et la traction violente.
Il en résulte des lésions d'une grande spécificité :
fractures métaphysaires par arrachement, fractures costales, scapulaires, sternales ou des épineuses vertébrales.
Les autres localisations ont une spécificité moindre. Certains critères ont également une grande valeur :
La découverte de lésions non suspectées.
La multiplicité des lésions (prédominance des lésions à gauche = coups portés par un droitier).
Des fractures d'âge différent.
La discordance entre l'importance des signes osseux et la présentation clinique proposée par les auteurs des sévices.
L'évolution des lésions.
Des traumatismes cérébraux et des lésions viscérales associées ; ces derniers cités sont explorés en premier sur les clichés standards mais surtout à l'échographie, au scanner et IRM, parfois en urgence si le pronostic vital est en jeu.
Les lésions cranio-encéphaliques varient en fonction du mécanisme. Il peut s'agir de fracture du crâne, de contusion cérébrales oedémateuse ou/et hémorragique, d'hématome extra dural en cas de choc direct avec parfois des lésions opposées de contre coup.
L'enfant secoué :
Il n'existe pas de signe extérieur (absence de fracture du crâne) par contre les lésions sont assez spécifiques : par cisaillement, des veines sont arrachées et à l'origine d'hémorragie sous arachnoïdienne, d'hématome sous dural, de pétéchies profondes. Exceptées ces dernières, ces lésions sont diagnostiquées par tomodensitométrie à la phase initiale. L'échographie transfontanellaire précède le scanner si la fontanelle est encore perméable. L'IRM est utile plus tard ; elle objective les stigmates indélébiles des pétéchies des noyaux gris centraux et qui représentent des lésions quasiment spécifiques : hyper signal en T2.
Il faut décrire à part la destruction parenchymateuse provoquée par la strangulation ou l'étouffement ; l'anoxie induite réalise des images très évocatrices avec le signe du cervelet blanc.
Il peut s'y associer des atteintes thoraciques et abdominales spécifiquement du pancréas par compression sur le billot vertébral (lésions avec faux kystes doivent retenir l'attention surtout avec association d'autres lésions).
Diagnostic différentiel :
Il existe une longue liste de maladies et de circonstances qui peuvent plus ou moins prêter à confusion avec le syndrome de Silverman :
Les traumatismes obstétricaux.
Les prématurés.
Des maladies métaboliques : scorbut, rachitisme, ostéodystrophie rénale, syndrome de Menkès (anomalie congénitale du métabolisme du cuivre), mucolipidose.
Les maladies neuro musculaires : insensibilité congénitale à la douleur, insuffisances moteurs cérébraux, myélo méningocèle (moelle non recouverte : enfant paraplégique).
Dysplasie osseuse : ostéogenèse imparfaite, maladie de Caffey.
Certains traitements médicamenteux qui entraînent des appositions périostées.
Traumatisme non volontaire : kinésithérapie, fracture de fatigue.
Néoplasies osseuses.
Il ne faut pas se laisser abuser par de fausses images et retenir à tort le diagnostic d'enfant battu ; mais c'est le radiologue qui est ici concerné.
Attitude des manipulateurs :
Le MERM doit garder une attitude normale, non suspicieuse vis à vis des accompagnants car toute personne reste innocente tant qu'il n'y a pas preuve du contraire et comme nous en avons parlé avant certaines maladies sont pourvoyeuses d'anomalies proches. Si au décours d'un examen de routine (poignet, ceinture scapulaire, ect) le manipulateur découvre des images suspectes (cals anciens, décollements métaphysaires, fractures de côtes, ect) il doit avertir aussitôt le radiologue qui se trouve avec lui ou le médecin du service des urgences qui a examiné l'enfant (cas des cliniques) et lui exposer ses doutes. Mais à aucun moment le manipulateur intervient en dehors de son supérieur hiérarchique dans la structure où il travaille. Le radiologue ou le médecin urgentiste prend contact avec le médecin de famille qui connaît le milieu familial de l'enfant et les risques réels ou le pédiatre en cas de doute et ils mettront en route un processus qui devra aboutir à une seule chose : si l'enfant est un enfant battu il doit être protégé s'il n'est pas trop tard ! et l'entourage aidé voire condamné.
Marie-José TIRARD (MERM Clinique Miséricorde Caen)
Guillaume BAUDY (MERM Clinique Miséricorde Caen)
Dr J-Louis MONNERIE (Radiopédiatre et expert auprès des tribunaux)